Trois hommes vinrent à notre rencontre. Ils étaient taillés dans le même moule : grands, larges, costauds, impressionnants. Rafael avança et les prit un par un dans ses bras. Des cousins, probablement…
- Ils vont nous fouiller, me dit-il.
Je me penchais contre le pick-up, écartant les bras et les jambes. L’un d’entre eux fit glisser un détecteur sur mon corps puis me passa ses immenses mains velues à la recherche de je ne sais quel objet dangereux. Je lui tendis mon sac contenant les appareils photos. Il l’ouvrit, s’accroupit sur le sol et délicatement sortit tout ce qu’il contenait. Il vérifia chaque appareil méticuleusement. Il se releva après avoir rangé les appareils dans le sac et me le rendit. Il fit signe à Rafael que tout allait bien. Rafael et moi les suivirent tandis qu’un des jumeaux restait près des
voitures alors que l’autre venait avec nous. Nous passâmes par un escalier qui
nous conduisit dans un long couloir sombre proposant quatre cabines
d’ascenseur. Je ne disais rien. Rafael m’avait prévenu que si je voulais
parler, il faudrait que ce soit en espagnol. A aucun moment je ne devais parler
anglais ou français. Nous montâmes dans la première cabine qui voulut bien
s’ouvrir. A six nous étions un peu serrés et je redoutai un instant qu’une
alarme ne vienne nous avertir que l’ensemble de nos corps dépasse le poids
total autorisé, mais la cabine s’éleva dès que l’un des trois hommes entra un
code. Le silence était presque gênant. La cabine s’arrêta au dernier étage, du moins si j’en croyais les
chiffres lumineux affichés au dessus de la porte. Nous sortîmes lentement et un
autre homme, portant un fusil mitrailleur en bandoulière, nous attendait devant
une porte vitrée. Il demanda à nouveau à fouiller tout le monde et l’opération
du parking recommença exactement de la même manière. Puis nous entrâmes dans la
pièce située derrière la porte. C’était un gigantesque bureau, contenant quatre
canapés de cuir, une longue table de bois brun et, devant une baie vitrée plus
large que la vitrine d’un grand magasin parisien, un bureau de verre. Un homme,
petit et replet, se tenait devant la baie, nous tournant le dos, il semblait
contempler le monde. Nous restâmes debout sans rien dire pendant au moins une
minute. Et une minute dans ce genre de situation, c’est long. Il se tourna
enfin vers nous. Je découvris un visage fatigué, rond, mal rasé, qui nous
souriait. Il ressemblait vaguement à celui de l’homme vu tant de fois à la
télévision pour nous raconter ses exploits. Il s’approcha de moi et me tendit
la main. Je la serrais en disant en espagnol : « merci de nous
accueillir ».
- C’est normal, répondit-il. C’est normal. Je connais votre travail et je l’apprécie beaucoup. Quand Rafael m’a contacté j’ai tout de suite été flatté et j’ai accepté de vous rencontrer.
Il me montra du doigt l’un des canapés sur lequel je m’assis. Il s’assit sur celui d’en face. Je sortis mes appareils.
- Mon travail n’est pas que photographique, dis-je. J’aimerais aussi parler avec vous. De votre travail mais aussi de la frontière. Je crois que vous êtes né aux Etats-Unis ?
- Oui. Mes parents venaient de s’installer là-bas. Bon pas tellement légalement en vérité. Si bien que j’ai la nationalité américaine mais mes racines sont ici, au Mexique. Je suis mexicain avant tout et très fier de l’être. Je crois d’ailleurs que c’est l’amour de mon pays qui me pousse à continuer le travail pour lequel je suis fait. Cette fierté me donne la force de lutter chaque jour contre la corruption. C’est cette corruption qui détruit le Mexique.
- Vous risquez votre vie. Je vois d’ailleurs que les mesures de sécurité qui vous entourent sont assez développées.
- J’ai déjà connu plusieurs tentatives d’assassinat. On s’en est également pris à ma famille, mon épouse, mes deux filles. Aujourd’hui elles sont en sécurité à l’étranger. C’est vrai que j’ai une vie un peu particulière à cause de tout ça.
- Comment avez-vous commencé dans la police ?
- Comme tout le monde je dirais. Mes parents sont revenus au Mexique alors que j’avais quinze ans. Je n’étais pas obligé de rester ici comme je vous l’ai dit. Puisque je suis né aux Etats-Unis, je pouvais y rester. D’ailleurs mes deux frères et ma sœur y vivent. Légalement. Mais j’ai préféré revenir aussi. Bon j’étais encore jeune. J’ai suivi mes parents. Et à dix-huit ans je me suis engagé dans la police fédérale. J’ai commencé au bas de l’échelle. A patrouiller dans les rues de Tijuana. J’ai vite compris qu’il y a avait des intérêts communs entre les forces de l’ordre et les voyous. Pour avoir la paix, les voyous proposent de l’argent aux policiers et malheureusement, bien souvent, ils acceptent. Bon pas tout le monde. Je ne veux pas que vous pensiez que tout le monde est corrompu dans mon pays. Pas du tout. Seulement les salaires sont bas. Risquer sa vie pour des clopinettes, au bout d’un moment ça devient un problème. Vous avez une famille à nourrir, des enfants à envoyer à l’université ou alors simplement des goûts supérieurs à vos moyens financiers alors la tentation est grande. Et ici, la tentation, on vous la fait voir le plus souvent possible…
C’est alors que j’entendis une explosion dans mon dos. Je me retournai et vis le jumeau qui était venu avec nous, étalé par terre, trois mètres plus loin que la place qu’il occupait juste avant. L’homme au fusil mitrailleur commença à tirer en direction de la porte. Rafael qui était resté debout près du canapé se tourna vers moi et je lu la panique sur son visage. Luis Morales Patricio avait sorti son arme. Je ne savais pas quoi faire. Je me levai. Rafael plongea vers moi et me plaqua au sol.
- Ne bouge pas, me dit-il en espagnol.
Étalé comme je l’étais sous Rafael, je ne voyais plus rien. J’entendis plein de coups de feu. Je relevai la tête et vis Morales Patricio s’effondrer sur le canapé sur lequel il était assis quelques secondes plus tôt. Je vis des bas de pantalon avancer vers lui et le bout d’une arme de guerre pointée sur son visage. Le coup fut assourdissant. La tête de Morales Patricio éclata comme une tomate mûre jetée contre une falaise. Les assaillants s’approchèrent de Rafael et moi. Je sentis, plus que je ne vis, le corps de Rafael poussé sur un côté. Sans rien dire de plus le fusil d’assaut se posa sur sa tête. Le coup partit. La tête de Rafael se désintégra totalement. L’autre homme se pencha vers moi et me sourit. Il posa le canon d’un petit pistolet sur mon front et dit :
- Quieres vivir, gringo ?
Aucun son ne pu sortir de ma bouche. Il me sourit encore. Il appuya sur la détente.
FIN.
- C’est normal, répondit-il. C’est normal. Je connais votre travail et je l’apprécie beaucoup. Quand Rafael m’a contacté j’ai tout de suite été flatté et j’ai accepté de vous rencontrer.
Il me montra du doigt l’un des canapés sur lequel je m’assis. Il s’assit sur celui d’en face. Je sortis mes appareils.
- Mon travail n’est pas que photographique, dis-je. J’aimerais aussi parler avec vous. De votre travail mais aussi de la frontière. Je crois que vous êtes né aux Etats-Unis ?
- Oui. Mes parents venaient de s’installer là-bas. Bon pas tellement légalement en vérité. Si bien que j’ai la nationalité américaine mais mes racines sont ici, au Mexique. Je suis mexicain avant tout et très fier de l’être. Je crois d’ailleurs que c’est l’amour de mon pays qui me pousse à continuer le travail pour lequel je suis fait. Cette fierté me donne la force de lutter chaque jour contre la corruption. C’est cette corruption qui détruit le Mexique.
- Vous risquez votre vie. Je vois d’ailleurs que les mesures de sécurité qui vous entourent sont assez développées.
- J’ai déjà connu plusieurs tentatives d’assassinat. On s’en est également pris à ma famille, mon épouse, mes deux filles. Aujourd’hui elles sont en sécurité à l’étranger. C’est vrai que j’ai une vie un peu particulière à cause de tout ça.
- Comment avez-vous commencé dans la police ?
- Comme tout le monde je dirais. Mes parents sont revenus au Mexique alors que j’avais quinze ans. Je n’étais pas obligé de rester ici comme je vous l’ai dit. Puisque je suis né aux Etats-Unis, je pouvais y rester. D’ailleurs mes deux frères et ma sœur y vivent. Légalement. Mais j’ai préféré revenir aussi. Bon j’étais encore jeune. J’ai suivi mes parents. Et à dix-huit ans je me suis engagé dans la police fédérale. J’ai commencé au bas de l’échelle. A patrouiller dans les rues de Tijuana. J’ai vite compris qu’il y a avait des intérêts communs entre les forces de l’ordre et les voyous. Pour avoir la paix, les voyous proposent de l’argent aux policiers et malheureusement, bien souvent, ils acceptent. Bon pas tout le monde. Je ne veux pas que vous pensiez que tout le monde est corrompu dans mon pays. Pas du tout. Seulement les salaires sont bas. Risquer sa vie pour des clopinettes, au bout d’un moment ça devient un problème. Vous avez une famille à nourrir, des enfants à envoyer à l’université ou alors simplement des goûts supérieurs à vos moyens financiers alors la tentation est grande. Et ici, la tentation, on vous la fait voir le plus souvent possible…
C’est alors que j’entendis une explosion dans mon dos. Je me retournai et vis le jumeau qui était venu avec nous, étalé par terre, trois mètres plus loin que la place qu’il occupait juste avant. L’homme au fusil mitrailleur commença à tirer en direction de la porte. Rafael qui était resté debout près du canapé se tourna vers moi et je lu la panique sur son visage. Luis Morales Patricio avait sorti son arme. Je ne savais pas quoi faire. Je me levai. Rafael plongea vers moi et me plaqua au sol.
- Ne bouge pas, me dit-il en espagnol.
Étalé comme je l’étais sous Rafael, je ne voyais plus rien. J’entendis plein de coups de feu. Je relevai la tête et vis Morales Patricio s’effondrer sur le canapé sur lequel il était assis quelques secondes plus tôt. Je vis des bas de pantalon avancer vers lui et le bout d’une arme de guerre pointée sur son visage. Le coup fut assourdissant. La tête de Morales Patricio éclata comme une tomate mûre jetée contre une falaise. Les assaillants s’approchèrent de Rafael et moi. Je sentis, plus que je ne vis, le corps de Rafael poussé sur un côté. Sans rien dire de plus le fusil d’assaut se posa sur sa tête. Le coup partit. La tête de Rafael se désintégra totalement. L’autre homme se pencha vers moi et me sourit. Il posa le canon d’un petit pistolet sur mon front et dit :
- Quieres vivir, gringo ?
Aucun son ne pu sortir de ma bouche. Il me sourit encore. Il appuya sur la détente.
FIN.